Pourquoi les Portugais rejoignent l’Arabie Saoudite?
Lorsque Cristiano Ronaldo rejoint Al Nassr le 1er janvier 2023, l’Arabie Saoudite ne représente rien dans la sphère du football mondial. Mais six mois plus tard, la Saudi Pro League est devenue le principal fourvoyeur de transferts. Parmi les nouveaux exilés du Golfe, les Portugais sont particulièrement nombreux. Pourquoi?
Il est de ces choses que l’on peut difficilement anticiper. Au coup d’envoi de la Coupe du monde 2022 au Qatar, qui aurait pu s’imaginer que l’Arabie Saoudite deviendrait, en moins d’une demi-année, la nouvelle terre d’exil des talents du continent européen? Rien ne prédisposait alors ce pays, dont le principal fait d’armes sur la planète foot globale (la victoire des hommes d’Hervé Renard sur l’Argentine) n’était pas encore arrivé, à devenir la nouvelle plaque tournante du ballon rond international.
L’argent était déjà là, comme aux Émirats Arabes Unis et au Qatar, mais aucun joueur confirmé n’avait ne serait-ce qu’imaginé franchir le pas. La Saudi Pro League n’aspirait d’ailleurs même pas à devenir ce que les championnats russes et chinois avaient tenté de créer il y a quelques années déjà. Pourtant, ce mercato estival est bien celui de la peur sur le Vieux continent, celle de voir ses talents s’exiler, toujours plus nombreux, vers cet argent sorti de terre. Parmi ces grands pressés, les Portugais sont légions. Pourquoi?
Cristiano Ronaldo, le précédent
« L’influence ». C’est désormais le terme préféré de Twitter (#OnAdopteraPasX) pour parler de Cristiano Ronaldo et de son impact sur la planète foot, reléguant désormais de plus en plus le statut de « GOAT » (désormais dépassé sur le réseau social) à son rival sportif Lionel Messi. Et si les twittos fanatiques plombent la culture foot, ils ont raison sur ce point : le natif de Madère jouit en effet d’une influence monumentale sur son sport et la vision que les gens (joueurs comme suiveurs) s’en font. Et encore plus dans son pays.
Lorsqu’il rejoint Al Nassr le 1er janvier 2023, CR7 crée inévitablement un précédent : il est le premier joueur de renommée mondiale et encore sur le devant de la scène à céder aux sirènes du Golfe. Le Portugais quitte en effet Manchester United fâché mais vient de pondre une saison impressionnante pour son âge en Angleterre. En s’affirmant en Arabie Saoudite, « l’influenceur » crée un antécédent, il n’y a désormais plus d’obstacle mental à rejoindre les pétrodollars puisque le grand Cristiano l’a fait. La boîte de Pandore vient d’être ouverte, surtout pour les Portugais qui aiment profiter du « guide » Ronaldo pour justifier leurs actes.
L’argent, un moteur pour de nombreux Portugais
Derrière les beaux discours de façade, personne n’est dupe : non, la Saudi Pro League n’est pas un championnat émergent dont le niveau ne cesse de monter et qui pourrait concurrencer nos championnats européens tremplins (Belgique, Pays-Bas, Portugal). Mais ce sera peut-être le cas d’ici 2-3 ans si la dynamique de transferts ne faiblit pas. En attendant, ce n’est pas avec 3 joueurs de premier plan par équipe qu’on fait un bon championnat. Comme ce n’est pas l’aspect sportif qui attire de si nombreuses stars et proto-vedettes du ballon rond dans le Golfe. Le nerf de la guerre, c’est toujours l’argent.
Soyons clairs, nous ne sommes pas ici pour cracher sur ce choix financier ni le condamner. Nous sommes ici pour faire état d’un constat. Oui, cette course à l’Arabie Saoudite démontre le tournant pécuniaire du football moderne (qui est, de toute façon, inévitable). Mais il fait également ressortir un paradigme assez peu considéré (à l’inverse des sempiternels et ridicules poils, morue et houloucouptères) : le Portugais aime l’argent. Et ce n’est pas un problème, juste un fait qu’il faut prendre en compte objectivement. Un appât financier plus que probablement induit par les décennies de frustrations économiques d’un pays encore émergent en Europe, où la population veut à tout prix s’échapper de la pauvreté. Difficile dès lors, pour un joueur/individu ayant grandi dans la peur de la misère, de refuser de pareilles sommes, il faut le dire.
Roberto Martínez, la Seleção des copains
Dernier élément quantifiable et non des moindres, l’argument sportif. Bien loin de cet article l’envie et l’idée de glorifier la richesse compétitive que peut apporter le championnat saoudien (l’inverse étant d’ailleurs précisé dans le chapitre précédent), il est plutôt ici question d’échelle nationale. Car si il apparaît évident qu’une sélection de premier rang devrait se montrer réticente à l’idée de sélectionner des joueurs partis palper leurs billets dans le Golfe, ce n’est pas le cas du Portugal. Et ce pour une bonne raison : l’homme à la tête de la Seleção ne s’intéresse pas au contexte sportif des joueurs qu’il sélectionne, il veut juste des bons petits soldats.
Les premières sélections et sorties en qualification du Portugal sous Roberto Martínez l’ont prouvé, l’Espagnol n’est pas venu pour prendre des décisions fortes et révolutionner une tour d’ivoire au fonctionnement à des années-lumières de ce qu’exige le football moderne et professionnel de premier plan. Comme avec la Belgique, Bobby est là pour créer un groupe qui fera front derrière lui : il sélectionne des profils qu’il apprécie et qui lui rendront, pas les profils les plus intéressants. Et si Rúben Neves a été l’un des premiers internationaux à rejoindre l’Arabie Saoudite, c’est parce que son sélectionneur a ouvertement déclaré que le fait que Cristiano Ronaldo y joue ne changeait rien à sa sélectionnabilité et qu’il était même mieux qu’il ne joue plus en Europe. Pourquoi donc se priver si compter ses liasses au soleil nous garantit toujours une place dans la Seleção des copains?
Vous l’aurez compris, l’appât des Portugais pour l’Arabie Saoudite et sa magnifique [sic] Saudi Pro League ne devrait pas s’estomper. Qu’ils soient joueurs (Cristiano Ronaldo, Rúben Neves, Jota), entraîneurs (Luis Castro, Jorge Jesus, Nuno Espírito Santo) et sans doute bientôt directeurs sportifs et autres membres élargis de staff, les talents lusitaniens continueront à rejoindre le Golfe dans les prochaines années. CR7 « l’influenceur » a ouvert une porte que le sélectionneur lui-même garde bien grande ouverte. Tant qu’elle ne sera pas violemment fermée et que toute fenêtre ne soit cloitrée, la dynamique ne pourra être endiguée. Espérons que cela n’arrive pas trop tard et que les générations dorées à venir ne soient pas sacrifiées sur l’autel de la cupidité et du copinage au détriment de ce qui compte le plus dans le football : le jeu et l’argument sportif.