Le Portugal champion d’Europe 2016 : L’art de faire déjouer l’adversaire
Le 10 juillet 2016, une date dont tous les Portugais se souviendront, le 1er succès majeur de la Seleção avec l’Euro 2016 remporté en France. Mais derrière ce succès, les controverses et les critiques fusent. Considérée par certains comme une victoire « dégueulasse » et par d’autres comme purement chanceuse. Loin de ces étiquettes simplistes, l’équipe de Fernando Santos s’est surtout révélée comme une incroyable machine à faire déjouer ses adversaires.
Le Portugal de 2016, c’est un style de jeu aux antipodes de ce que la Seleção nous avait habitué depuis le début du 21ème siècle. Mais c’est aussi, sur le papier, l’effectif le plus faible. Un creux générationnel où à l’exception de Cristiano Ronaldo et Pepe, nous ne trouvons aucune référence mondiale. La Seleção compte sur un mélange de vétérans tels que Nani et Quaresma, et de jeunes talents comme Renato, João Mário et Raphaël Guerreiro.
Après une décevante Coupe du Monde en 2014, les attentes sont faibles pour le Portugal à l’Euro. Des performances moyennes, voire mauvaises lors des trois premiers matchs dans un groupe pourtant abordable, le Portugal se qualifie miraculeusement en tant que meilleur troisième grâce à une nouvelle règle. Mais face à l’irrésistible Croatie en huitièmes de finale, l’Ingénieur décide de tout changer, tactique, système et hommes de base. Analysons ensemble la performance tactique défensive Portugaise lors des 4 matchs à élimination directe de cette épopée victorieuse.
Le système de jeu
Après une sortie miraculeuse des phases de poules, « o engenheiro » a compris qu’il devait apporter des changements pour tenir sa promesse envers les Portugais. Tout commence par un ajustement tactique, passant du 4-3-3 au 4-4-2. La défense conserve une ligne de quatre, mais joue plus bas et privilégie le jeu long. José Fonte remplace Ricardo Carvalho, qui avait des difficultés dans les duels. Les latéraux doivent parcourir de longues distances, car le système de Fernando Santos ne compte pas vraiment d’ailiers. Ce sont eux qui doivent offrir des solutions le long de la ligne de touche en se dédoublant.
La principale nouveauté réside dans le milieu de terrain, le cœur du jeu de Fernando Santos. Les deux milieux latéraux ne sont pas des joueurs de débordement, mais plutôt des meneurs de jeu excentrés. Ils sont capables de porter le ballon, d’organiser le jeu et de délivrer des centres de qualité. João Mário, André Gomes et Renato Sanches se sont succédé à ces postes, des joueurs habituellement performants dans l’axe du jeu.
Passons maintenant au double pivot, qui joue un rôle totalement différent. Le premier peut être comparé à un « regista », il est responsable de la première relance et doit faire preuve d’une grande qualité de jeu et de vision. Il doit également combler les brèches dans l’axe pour éviter que les deux centraux ne se dézonent. William Carvalho est parfaitement adapté à ce poste. À ses côtés, un joueur discret, harceleur et récupérateur de ballon, qui joue un rôle ingrat défensivement et est souvent peu présent offensivement. Adrien Silva a parfaitement rempli ce rôle, reléguant João Moutinho sur le banc.
Enfin, parlons des deux attaquants, véritables électrons libres au profil hybride, à mi-chemin entre ailier et avant-centre, parfois même faux neuf. Ils doivent pouvoir s’adapter à toutes les situations et en tirer le meilleur pour marquer des buts. Leur liberté de mouvement offensive rend leurs déplacements imprévisibles pour les défenses adverses. Avec Nani à ses côtés, Fernando Santos a veillé à ce que Cristiano Ronaldo soit dans les meilleures conditions, lui offrant une grande liberté de mouvement, à l’image de son rôle au Real Madrid.
Une équipe bâtie pour empêcher la progression adverse
Le Portugal déploie une tactique défensive en 4-4-2 losange, se positionnant sans le ballon avec un bloc très bas. La caractéristique principale de ce losange est la position très avancée de sa pointe haute, parfois même plus haute que les deux attaquants.
Malgré les critiques souvent formulées à l’encontre de leur jeu « trop défensif », les Portugais ont réussi à faire déjouer chaque adversaire avec une grande intelligence tactique. C’est là l’essence même de la stratégie élaborée par Fernando Santos : perturber au maximum la progression adverse. Pour ce faire, la pointe haute du losange, souvent occupée par Adrien Silva, jouait un rôle ingrat mais crucial. Sa mission consistait à harceler sans relâche le relanceur privilégié de l’adversaire, dans le but de le faire reculer au maximum et de l’isoler de toute solution de jeu. Les deux attaquants, par leur positionnement, venaient ensuite bloquer les options offensives de l’adversaire et couvrir le dos d’Adrien. De plus, les milieux latéraux du losange se recentraient pour renforcer le milieu de terrain.
Les Portugais évitent les prises de risques inutiles. Le pressing incessant sur la défense adverse n’est pas une priorité, car il faut absolument empêcher toute solution libre dans l’axe ainsi qu’éviter que l’adversaire trouve des solutions entre les lignes. Chaque fois qu’un joueur portugais exerce une pression, un coéquipier est prêt à assurer la couverture. Cette approche permet aux défenseurs adverses de bénéficier d’une grande liberté et de jouer facilement vers le relanceur privilégié, qui se retrouve immédiatement harcelé dès qu’il récupère le ballon. Les joueurs adverses positionnés dans l’axe sont parfaitement pris en charge par les milieux portugais, à tel point qu’ils se trouvent constamment dos au but et ne disposent pas d’espace pour se retourner.
L’objectif ultime de tous ces efforts était de scinder l’équipe adverse en deux, créant un « no man’s land » entre le relanceur positionné près de la ligne défensive et le reste de l’équipe. Ainsi, l’équipe adverse ne disposait que de deux solutions pour progresser :
- Le jeu long : une option parfaitement maîtrisée par la solide défense portugaise, positionnée en bloc bas et excellant dans l’anticipation et le jeu aérien.
- Le jeu sur les côtés : les joueurs excentrés étaient constamment pris en tenaille par les latéraux portugais, qui effectuaient un pressing agressif, et les milieux latéraux, qui se repliaient pour protéger l’axe.
Le Portugal acceptait donc volontiers de subir, car la possession adverse se révélait le plus souvent stérile. En harcelant le relanceur adverse et en bloquant l’axe, les Portugais créaient des situations très favorables à leur défense. Les statistiques viennent clairement corroborer ces propos :
- 44% de possession de moyenne
- 1 seul but encaissé
- Peu d’occasions franches concédées : 1 seul tir cadré par les Croates en 120 min / 3 tir cadrés par les Gallois
Cependant, en choisissant de laisser le ballon à l’adversaire tout en empêchant leur progression, les phases de jeu devenaient souvent stériles et soporifiques. Par exemple, lors du match contre la Croatie, celle-ci s’est retrouvée à plusieurs reprises en possession du ballon dans son propre camp sans pouvoir avancer, sans être pour autant sous pression, pendant de longues périodes.
Une approche efficace, fonctionnant à merveille, mais il est vrai loin d’être spectaculaire à regarder.
La maîtrise des fondamentaux et de ses points forts pour protéger son but
Face à des moments où la ligne médiane du Portugal est éliminée, obligeant l’équipe à se replier et à défendre son but, les Portugais démontrent une maîtrise parfaite des fondamentaux du football : bloquer au maximum l’axe conduisant au but adverse.
Dans de telles situations, la défense portugaise réadapte sa position en se repliant profondément et en se resserrant dans l’axe. Les milieux de terrain adoptent une configuration similaire pour renforcer cette solidité défensive. L’équipe adverse se trouve alors confrontée à un bloc compact, rapproché de son propre but, rendant la recherche de solutions de passes au sein de cette masse rouge extrêmement difficile. L’option restante pour l’adversaire est de jouer sur les côtés, et c’est précisément ce que le Portugal souhaite provoquer.
L’équipe portugaise ajuste son bloc pour isoler le joueur adverse sur le côté, avec le latéral qui ferme les possibilités de progression et le milieu latéral qui coupe les passes vers l’axe. Cependant, aucune pression directe n’est exercée sur le porteur de balle s’il n’y en a pas besoin, aucun risque n’est pris. Les Portugais semblent parfois presque inviter l’adversaire à centrer. Cette approche vise à exploiter l’excellence de leur charnière centrale dans le jeu aérien et leur parfaite maîtrise des situations de centres. De plus, les milieux de terrain viennent en renfort pour créer un surnombre défensif, renforçant ainsi les chances de contrer toute tentative offensive adverse.
Pour protéger efficacement leur but, Fernando Santos a une fois de plus fait confiance aux atouts de son effectif. En adoptant une approche défensive, la Seleção a formé un bloc compact, étroitement positionné près de leur but, rendant ardues les tentatives de passes de l’adversaire au sein de cette masse rouge. Le Portugal a intelligemment encouragé ses opposants à jouer sur les côtés, tout en isolant les joueurs adverses grâce à des latéraux qui fermaient les possibilités de progression et des milieux latéraux qui coupaient les passes vers l’axe. Leur stratégie visait à exploiter la puissance de leur charnière centrale dans le jeu aérien et à maîtriser les situations de centres, tout en bénéficiant d’un surnombre défensif créé par leurs milieux de terrain.
Et offensivement ?
Fernando Santos, réputé pour son approche défensive, a une fois de plus confirmé sa réputation lors de l’Euro 2016. Si la Seleção se démarque sans ballon avec un plan de jeu précis, c’est tout le contraire lorsqu’ils ont la possession. On observe un manque flagrant de mouvement, une absence criante de vitesse et une timidité dans la prise de risques. La rigueur et la discipline requises en défense expliquent en partie cette situation, car il est difficile de fournir autant d’efforts après la récupération, d’autant plus que le Portugal récupère le ballon généralement assez bas, ce qui limite les opportunités de contre-attaque.
En résumé, sur le plan offensif, Fernando Santos mise sur les différences individuelles de ses deux attaquants, Nani et surtout CR7, qui sont libérés de tout travail défensif. Une grande liberté leur est d’ailleurs accordée afin de déstabiliser la défense adverse. Cependant, trop souvent laissés à eux-mêmes, ils éprouvent des difficultés à se créer des occasions individuelles. En phase offensive placée, la stratégie de l’ingénieur repose principalement sur les dédoublements de ses latéraux afin de générer des occasions de centres pour Cristiano Ronaldo. Stéréotypé au possible, le Portugal aura eu beaucoup de difficultés à se procurer des occasions, bien dommage lorsque le travail est si bien fait défensivement.
La victoire du Portugal à l’Euro 2016 n’a malheureusement pas marqué le début d’une ère de succès pour Fernando Santos et ce malgré des générations bien meilleures. Au contraire, les mêmes erreurs tactiques se sont répétées à maintes reprises jusqu’à son départ en 2022, laissant entrevoir un plan de jeu offensif stéréotypé et insuffisamment élaboré. Le plus préoccupant, c’est que contrairement à l’Euro 2016, Fernando Santos aura éprouvé de grandes difficultés à mettre ses meilleurs joueurs dans les meilleures conditions par la suite.